Cancer : l'éthique au cœur des soins
Il est frappant de constater, pour peu qu’un dialogue s’engage entre tous, que l’exercice professionnel des uns et des autres est traversé par des questionnements semblables que l’on peut qualifier « d’éthiques ». Ceux ci prennent diverses formes que l’on retrouve, par exemple, au niveau :
- de toutes les étapes de la maladie avec une question récurrente qui est celle de l’annonce, de savoir s’il faut dire ou non la vérité et alors comment accompagner le malade et son entourage?
- de la prise en charge proprement dite où chaque professionnel est confronté aux limites de son action quand il n’y a plus d’espoir de guérison, quand les thérapeutiques engagent ou pèsent sur la qualité de la vie,
- de la prise en compte de la volonté du patient quand l’expression de celle ci heurte les conceptions qu’ont les soignants de leur rôle et de leurs responsabilités.
- du coût de la maladie à travers un débat de société qui se fait jour et que l’on rencontre aussi à l’hôpital?
- Donner des repères cliniques pour mieux comprendre le retentissement psychique de la maladie.
- Développer une réflexion et identifier le modes d’actions, les attitudes susceptibles de favoriser la mobilisation des ressources psychiques.
- Médecins, psychologues, infirmiers, aides soignantes, autres professionnels de la santé, travailleurs sociaux, impliqués dans la prise en charge de personnes atteintes de cancer.
8h00 | Accueil des participants |
8h45 |
« Allocutions d'accueil » |
9h00 | « Le lieu de l'éthique » Jean Philippe Pierron, philosophe, Université Jean Moulin Lyon III |
9h45 |
« Comment s'exerce une responsabilité éthique au quotidien » |
10h30 |
Discussion |
10h45 | Pause café - espace exposants |
11h15 | « Les dessous de l'éthique : responsabilités concrètes et inconscient. Quelle issue ? » Nicolle Carré, Psychanalyste, Paris |
12h00 |
« Une expérience d'analyse des pratiques: 4 temps sinon rien ! » |
12h45 | Discussion |
13h00 | Repas sur place - espace exposants |
14h15 |
Ateliers : Relecture éthique d'une situation clinique. |
16h15 |
Synthèse de ateliers |
16h45 |
Conclusion : |
1. Allocutions d'accueil
J’ai le plaisir d’ouvrir la 13ème Journée de Psycho-Oncologie organisée par l’Association de Psycho-Oncologie du Haut-Rhin, en partenariat avec le SERFA, l’Université de Haute Alsace, le Comité du Haut-Rhin de la Ligue contre le Cancer, le Centre Hospitalier de Mulhouse, les Hôpitaux Civils de Colmar et avec l’aide du Conseil Général du Haut-Rhin, de la Ville de Mulhouse, du Crédit Mutuel, de certains laboratoires de l’industrie pharmaceutique, des prestataires de services que vous découvrirez tout à l’heure dans le hall.
Bienvenue à tous et merci de votre présence qui est pour nous un encouragement à poursuivre ces rencontres qui sont devenues, au fil des années, un rendez-vous attendu où nous avons, je l’espère, un plaisir partagé à nous retrouver.
Je dois excuser Madame Danielle PORTAL, la directrice du Centre Hospitalier de Mulhouse, qui regrette de ne pouvoir être des nôtres ce matin.
Nous comptons comme invités à ce jour des personnes qui connaissent ou ont connu d’une manière ou d’une autre l’épreuve du cancer. Ce n’est pas très usité dans les colloques ou les congrès de faire une place à ceux qui sont finalement au centre de nos débats. Nous avons toujours pensé et c’est une option que nous défendons, qu’il existe la nécessité d’un aller et retour constant entre réalité vécue, pratique, travail d’élaboration et partage d’expériences.
Depuis la naissance de notre association, de l’APOHR, nous faisons place sous une forme ou une autre à la voix des malades, que ce soit lors de ces journées ou dans le cadre du diplôme universitaire de psycho-oncologie que nous organisons avec l’Université.
Merci aussi à ces personnes qui ont accepté d’être là, au moins déjà comme témoins de nos échanges.
Je vais tout de suite donner la parole au Docteur Henri METZGER, délégué à la santé à la Ville de Mulhouse et qui va également vous souhaiter la bienvenue au nom de la Ville.
Henri METZGER
Bonjour à toutes et à tous. Un grand salut de la part de Jean ROTTNER, notre maire de Mulhouse. Nous avons tenu à soutenir cette réunion. Je suis déjà venu voici quelques années et je félicite les organisateurs.
A Mulhouse, nous avons constitué depuis de nombreuses années un comité mulhousien de la santé, un réseau santé mulhousien dans lequel la préoccupation éthique fait partie intégrante et est toujours questionnée dans nos activités. Par rapport aux domaines qui vous concernent et dans lesquels vous exercez, la problématique du cancer, en lien avec toutes les associations et en particulier la Ligue dont je salue ici le président, nous travaillons en amont, au niveau de la promotion de la santé, dans le cadre d’un programme que nous appelons « Prenons soin de nous-même et de nos proches ». Il consiste, dans les différents quartiers de Mulhouse, à expliquer ce qu’est le cancer, à diminuer l’inquiétude et la peur que crée rien que le nom de cancer pour permettre, dans les familles et autour d’elles, les réflexes d’aller faire les dépistages du sein, du colon, du col de l’utérus, que ces dépistages soient faits, soient connus, qu’on peut les faire, que c’est remboursé, gratuit, et qu’ils soient faits afin que nous arrivions à lutter contre les inégalités en matière de santé qui s’exercent aussi et malheureusement considérablement dans ce domaine. Des études précises commencent à le montrer. Le dépistage n’est pas utilisé de manière identique selon l’origine, le quartier, etc.
Notre action se déroule donc à ce niveau, par la parole et la compréhension, des moments de lien entre la culture des personnes et ce qu’est la pathologie, la maladie, de trouver des mots pour l’exprimer et de permettre aussi aux personnes de parler.
Je vous remercie encore d’être aujourd’hui à Mulhouse et vous souhaite une très bonne journée de travail dont je sais que la totalité de la population profitera.
Merci.
Philippe ACKERMANN
Merci. Un petit mot pour dire que 13ème Journée s’inscrit dans une continuité. Elle est le prolongement, par le choix du thème qui nous rassemble aujourd’hui, de la Journée de 2011 où nous avons abordé la question du cancer qui ne guérit pas.
Lors de cette journée de 2011, les différentes interventions et surtout les échanges en atelier ont mis en évidence une préoccupation éthique liée à certaines situations cliniques, préoccupation partagée par l’ensemble des professionnels. C’est donc de façon évidente que le choix du thème de cette année s’est imposé.
Le travail qui a nourri la préparation de cette 13ème Journée nous a fait choisir le titre « Cancer : l’éthique au cœur des soins ». Il faut peut-être s’en expliquer rapidement.
Il nous a en effet semblé qu’un des dénominateurs communs à la diversité de nos engagements était bien le questionnement éthique qui nous pousse à réfléchir à ce que nous faisons, au sens de nos actions, à se poser toujours la question de la relation juste, de ce qu’est l’action bonne et de ce que sont les valeurs qui les fondent.
Ce questionnement devient plus manifeste dans certaines situations cliniques dont la complexité appelle une réflexion interdisciplinaire. Cette réflexion qui s’appuie d’abord sur la parole du patient, sur la nécessité de préserver sa dignité, son autonomie, sa qualité de vie, se voit souvent contrainte par des pressions familiales, des considérations portant sur le coût de la maladie dont l’importance n’est plus à souligner actuellement.
C’est toujours sur le médecin que repose au final la prise de décision. Vous êtes sans doute, comme nous le sommes souvent, témoins de cette difficulté pour le médecin à porter seul cette responsabilité. Lorsque la décision peut être discutée en équipe, cela permet d’en alléger le poids et de pouvoir, comme le disait un médecin oncologue, de continuer à travailler en cancérologie où nous sommes tous particulièrement exposés sur le plan psychique.
C’est avec une invitation que je voudrais conclure ce rapide mot d’accueil, une invitation à réfléchir ensemble, à partager nos expériences et nos questions à partir de ce que vont nous apporter nos invités de ce matin et du travail en atelier qui est prévu cette après-midi.
Je vais laisser le soin au Professeur Gustave Nicolas FISCHER, président de cette séance, de vous présenter les invités, nos intervenants de cette matinée, et aussi de donner son éclairage personnel du thème de la journée.
Avant de vous donner la parole, je vais dire un petit mot de présentation. Vous êtes docteur en psychologie et avez été professeur de psychologie sociale à l’Université de Lausanne puis professeur de psychologie sociale à l’université de Metz où vous avez créé l’ensemble du cursus universitaire de psychologie avec notamment un DESS de psychologie du travail et un DESS de psychologie de la santé.
Vous êtes aussi professeur invité depuis de nombreuses années dans des universités étrangères telles que Montréal, Lisbonne et Genève et vous vous êtes, c’est peut-être important de le signaler, spécialisé dans trois grandes orientations à savoir la psychologie de l’environnement social et particulièrement l’étude psychologique des environnements de travail, la psychologie des situations extrêmes et notamment celle des grandes épreuves de la vie, la psychologie de la santé centrée essentiellement sur la maladie comme expérience psychique. J’ai eu le plaisir de faire votre connaissance voici quelques mois, à un moment où vous étiez dans l’écriture de votre prochain livre qui porte sur la psychologie du cancer et dont la parution est prévue pour 2013.
2. Introduction
Psychologue de la santé
Professeur honoraire de l’Université de Metz, professeur invité à l’Université de Montréal
Je vous salue tous et vous souhaite la bienvenue pour la démarche de cette journée en pensant tout particulièrement à la présence parmi nous de malades ou anciens malades. C’est aussi un élément de votre façon de vivre ensemble l’expérience de la maladie.
Un tout petit mot avant de nous organiser. Lorsque j’ai vu le programme de cette journée qui m’a été envoyé, je me suis souvenu d’une petite expérience qui m’avait beaucoup marqué, voici quelques années. Je me trouvais à l’université du Minnesota, aux Etats-Unis. Les collègues qui m’ont accompagné m’ont fait visiter les locaux de l’université, notamment un des locaux. Nous nous trouvons devant un local, une pièce, complètement en verre et fermée. Sur l’espace, l’une des parois vitrées, il était marqué « space of peace », espace de la paix. Je n’ai jamais vu cela dans une université française. Je me suis donc demandé, avec curiosité, « qu’est-ce que cela ? ».
Mon interlocuteur m’a expliqué et informé qu’on a voulu créer, dans cette université, un espace pour les étudiants où, d’une certaine façon, il ne se passe rien, pas de cours. C’est seulement là qu’ils peuvent se retrouver. Il ajoute, puisque nous avons des étudiants de 48 nationalités qui sont là, « c’est pour qu’ils puissent prendre soin les uns des autres ». Je me suis dit « mon Dieu, voilà une dimension qui nous est chère aujourd’hui » et qui s’est manifestée là, dans cette situation particulière, sous un angle qui m’avait paru être très central du point de vue de l’éthique.
Il y avait en plus, sur la porte, une inscription d’un auteur américain, John DOS PASSOS, que je vous cite car elle m’avait beaucoup frappé et parce qu’elle va dans le sens de l’ouverture de cette journée. C’était un extrait d’un de ses ouvrages qui disait « our only hope will lie in the frail web of understanding of one person for the pain of an other » qui signifie « notre seul espoir est la fragile toile de la compréhension qu’une personne peut manifester à la souffrance, à la peine de l’autre ».
Je me suis dit que c’est la réflexion et le regard que je porte personnellement sur cette journée, à savoir qu’une éthique des soins s’inscrit fondamentalement sur une éthique de la relation à l’autre. Dans cette relation à l’autre, c’est bien évidemment l’autre dans sa fragilité, dans sa détresse, sa souffrance, dans ce qu’il a de plus démuni face à sa propre vie.
En abordant la question de l’éthique, on dit quelque chose de fondamental sur une exigence humaine qui est la nôtre. C’est notre capacité à être humain, à rester humain, à devenir humain en tant que soignant. De ce fait, on est confronté à ce que KIERKEGAARD disait en allemand : « der Helfer ist die Hilfe». C’est celui qui aide, l’aidant, qui est la véritable aide. Je traduirais cela pour nous : c’est le soignant qui est le soin. Du point de vue de l’éthique, cela a quelque chose à dire.
Dernière remarque, un ouvrage de David SERVAN SCHREIBER vient de sortir. Il compile les différents textes qu’il a publiés de part et d’autre dans sa vie. Le titre du livre est « Notre corps aime la vérité ». Un chapitre porte justement sur la question du soin. Il parle d’un entretien qu’il a avec un cancéreux. Il termine sa démarche, sa réflexion, en disant : « le soignant, en soignant les autres, se soigne aussi lui-même ». L’éthique des soins porte aussi et toujours sur notre propre capacité à vivre la relation mais aussi à nous humaniser.
Ceci était mon petit regard personnel par rapport à ce que nous allons faire aujourd’hui.
Je vais sans tarder donner la parole à Jean-Philippe PIERRON. Jean-Philippe est universitaire, philosophe. Il enseigne actuellement à l’Université Jean-Moulin de Lyon 3. Il est doyen de cette faculté de philosophie à laquelle il appartient. Son focus de recherche tourne essentiellement sur la philosophie morale puisqu’il appartient à une équipe de recherche santé, individu et société. Son travail va nous éclairer par rapport à l’éthique des soins. Je signale deux de ses ouvrages qui peuvent vous intéresser, l’un qui porte sur les puissances de l’imagination, sur la fonction éthique de l’imagination où il aborde la relation entre éthique et imagination pour se centrer sur la question qu’est-ce que la créativité morale. Un autre de ses ouvrages qui nous intéresse a pour titre « Vulnérabilité pour une philosophie du soin ». Il va nous parler aujourd’hui du lieu de l’éthique. Je lui passe sans tarder la parole.
Applaudissements.
3. Le lieu de l’éthique
Je vous proposerai une réflexion en trois temps. Le premier temps portera sur ce nous pouvons entendre par l’idée de lieu de l’éthique. Le second temps sera une critique nécessaire à mes yeux de l’idée d’éthique, de ce que nous pourrions appeler une idéologie éthique. Le troisième temps portera sur les rapports entre éthique et institution ; la question sera alors : en quel sens, pour prendre soin de la relation, est-il effectivement nécessaire d’inventer dans nos institutions des espaces et des temps disponibles non pas à des dispositifs mais à cette relation ? De ce point de vue, je vous remercie de cette belle manière que vous avez eu d’ouvrir notre matinée.
4. Comment s’exerce une responsabilité éthique au quotidien ?
Je vous donne quelques informations sur Marie-Brigitte ORGERIE qui est médecin, oncologue hospitalière au CHU de Tours. Elle partage son temps entre son activité dans cet hôpital à Tours qui est une unité importante et une petite unité à Chinon avec une équipe restreinte et motivée. Cette double activité lui donne un recul dans ces deux institutions. Elle nous parlera de son travail au quotidien.
5. Les dessous de l'éthique : responsabilités concrètes et inconscient. Quelle issue ?
Je vais dire quelques mots à son sujet. Madame Nicolle CARRE est psychanalyste à Paris et écrivain, et surtout, par rapport à la démarche qui nous concerne, elle a vécu elle-même une expérience personnelle de la maladie grave. Ceci a bien évidemment marqué toute son orientation de psychanalyste et personnelle. Elle est par ailleurs animatrice de formations à l’accompagnement des malades pour divers groupes. Je voudrais enfin signaler qu’elle a écrit trois ouvrages dont deux qui peuvent particulièrement nous intéresser. Le premier s’intitule « Préparer sa mort » et le second « Vivre avec une personne malade, conseils pour la famille, les accompagnants, les soignants ».
6. Une expérience d'analyse des pratiques: 4 temps sinon rien !
J’invite à présent Cécile BOLLY à faire sa présentation. Elle est médecin et psychothérapeute en Belgique. Je souligne qu’elle assure actuellement un enseignement d’éthique à des étudiants de médecine et de soins infirmiers à la Haute Ecole Robert Schumann et à l’Université Catholique de Louvain, en Belgique. Elle porte actuellement ses intérêts sur l’éthique comme outil, démarche pédagogique. Je signale qu’elle a notamment écrit un ouvrage s’intitulant «L’éthique en chemin ».
7. Conclusion
Nous avançons progressivement vers la fin de cette journée. Je voudrais vous présenter Monsieur Pierre LUCAS, Directeur d’hôpital honoraire aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Il va nous faire la conclusion de cette journée. Je vais lui laisser la parole. Par la suite, Anne-Claire BUCCIALI nous présentera le prochain thème.