Vous êtes sociologue, formateur et conférencier. Vous intervenez bénévolement en soins palliatifs depuis 14 ans. Vous avez été chargé de mission à l'Observatoire national de la fin de vie. Votre ouvrage « Vivants jusqu'à la mort » est récemment paru chez Albin Michel.
Je commence par les remerciements : la Direction des ressources humaines, l'Institution de formation aux métiers de santé qui nous accueille à ce jour, le collège des psychologues, l'Association de psycho-oncologie et l'Association MultiPsy.
La mort traverse nos services, nos vies professionnelles comme nos vies personnelles. A l'hôpital, la visée est de prendre soin. Prendre soin, c'est accompagner le parcours du malade dans le diagnostic, dans le traitement, dans la guérison mais aussi être près du mourant et de sa famille et, ce, à tout âge de la vie. Tous les corps de métier peuvent y être confrontés : infirmier, psychologue, ASH, médecin, secrétaire, agent mortuaire.
A partir de là et comme vous le questionnez dans votre argumentaire, comment vivre avec la proximité de la mort ? Comment accompagner, quel accueil pour nos malades dans nos services et en nous ? De manière plus large également, quels sont les enjeux actuels liés à la question de la mort ?
Vous nous avez proposé d'aborder la question des états végétatifs chroniques mais aussi la question de la mort autour de l'enfant.
Je vais lire une courte présentation de votre travail et de votre dernier ouvrage. A partir de votre expérience d'accompagnement des personnes en fin de vie, vous explorez la question de la souffrance spirituelle. Cette notion, qui se trouve pourtant au cœur des soins palliatifs, est en pratique soigneusement évitée, en raison d'une conception française de la laïcité qui place le soin à distance de la vie privée des croyances personnelles. Ce silence tient à l'écart de l'accompagnement tous ceux qui, de plus en plus nombreux, cherchent une réponse qui ne serait pas exclusivement religieuse, à leurs souffrances.
Vous abordez cette question encore tabou en vous plaçant au plus près des mourants. Vous éclairez en quoi la question spirituelle se distingue de la religion, des croyances, de la philosophie, de la psychologie, pour lui restituer sa place véritable au cœur de chaque homme, dans une vision qui vient donner à la laïcité une perspective plus ambitieuse. Votre analyse aborde ainsi considérablement le seul champ de la fin de vie, faisant naître, de manière stimulante pour chacun, qu'il soit malade ou bien portant, croyant ou non croyant, des perspectives de sens et de lien qui ramènent à l'essence même de notre condition d'être humain.
Comment prendre soin d'une personne en fin de vie ? Comment la prendre en considération dans toute sa complexité, dans toute sa subtilité, dans tout ce qui reste de vitalité aussi ? Quel soutien lui offrir quand la médecine ne peut manifestement plus guérir ?
Les souffrances de fin de vie nous interpellent. Au niveau individuel, comment affronter l'idée de sa propre mort et sa finitude ? Au niveau collectif ensuite puisque, derrière cette question, se tient à peine voilé notre système commun de valeurs. Les répercutions de cette question sont multiples : éthiques, culturelles, sociales et économiques.
Je vais me faire le plaisir de vous lire un petit extrait du « Petit Prince » de Saint-Exupéry. C'est un texte que je trouve magnifique, que j'adore, qui approche de très près cette question de la finitude. Ce texte est très sensible. Je ne peux pas vous en lire un long passage mais j'invite tous ceux qui ne le connaissent pas ou ceux qui ont envie de se replonger dans cette lecture à le faire avec beaucoup de plaisir.
Au chapitre 26, le Petit Prince vient de rencontrer le serpent. Il vient d'offrir son rire en cadeau à l'aviateur qui a réparé son avion et qui est prêt à repartir. Le Petit Prince dit :
« - Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi et tu m'ouvriras peut-être parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir... Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras « Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire ! ». Et ils te croiront fou. Je t'aurai joué un bien vilain tour...
Et il rit encore.
- Ce sera comme si je t'avais donné, au lieu d'étoiles, des tas de petits grelots qui savent rire...
Et il rit encore. Puis il redevient sérieux :
- Cette nuit... Tu sais... Ne viens pas.
- Je ne te quitterai pas.
- J'aurai l'air d'avoir mal... J'aurai un peu l'air de mourir. C'est comme ça. Ne viens pas voir ça, ce n'est pas la peine...
- Je ne te quitterai pas.
Mais il était soucieux.
- Je te dis ça... C'est à cause aussi du serpent. Il ne faut pas qu'il te morde... Les serpents, c'est méchant. Ca peut mordre pour le plaisir...
- Je ne te quitterai pas.
Mais quelque chose le rassura :
- C'est vrai qu'ils n'ont pas le venin pour la seconde morsure...
Cette nuit-là, je le vis pas se mettre en route. Il s'était évadé sans bruit. Quand je réussis à le joindre, il marchait décidé, d'un pas rapide. Il me dit seulement :
- Ah ! Tu es là...
Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore :
- Tu as tort. Tu auras de la peine. J'aurai l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai...
Moi je me taisais.
- Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd.
Moi je me taisais.
- Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée. Ce n'est pas triste les vieilles écorces...
Moi je me taisais. »
Je vais donner la parole à Monsieur CHÂTEL. Il y aura bien sûr du temps pour des questions, n'hésitez pas à être actifs dans la discussion et l'intervention de Monsieur CHÂTEL, merci.